Le coût du travail en France, entre fantasmes et réalité LA CROIX – 17/02/2012 – p. 13
‣ Selon deux études de l’Insee, publiées aujourd’hui, la France fait bien partie des pays européens où le coût du travail est élevé. Mais ce haut niveau n’est pas un handicap dans tous les secteurs.
Le coût du travail en France est-il véritablement un handicap pour l’économie française ? Alors que le constat d’un travail réputé trop cher est au cœur du projet de TVA sociale, deux nouvelles études, publiées aujourd’hui par l’Insee, viennent apporter une lumière nouvelle sur le débat.
La première, qui étudie le coût du travail en France, évalue à 31,82 € le coût moyen de la main-d’œuvre dans les entreprises de 10 salariés et plus de l’industrie et des services marchands. Avec une forte hétérogénéité selon les secteurs d’activité. C’est dans les activités financières et d’assurance (49,01 €), où la proportion de cadres est forte, et dans la production d’électricité et de gaz (46,09 €), où les avantages sociaux sont nombreux, qu’ils sont les plus élevés. À l’inverse, le coût du travail est bas dans l’hébergement-restauration (21,11 €), car les salaires, souvent bas, bénéficient des allègements de charges Fillon.
La seconde étude, qui compare les évolutions entre 1996 et 2008 dans 15 pays de l’Union européenne, confirme « que la France fait partie des pays européens à coût élevé, avec la Belgique, le Danemark et la Suède » . C’est aussi l’un des pays où la part des cotisations employeurs (28 % en France, 21 % en Allemagne) est la plus forte. Mais, petite surprise en ces temps de débat autour du financement de la protection sociale, l’étude conclut à « l’absence de lien significatif entre le niveau du coût horaire et le taux de charges » . Pour preuve, alors que le Danemark finance sa protection sociale surtout par l’impôt et que la Suède le fait surtout par la cotisation, « les coûts horaires dans ces deux pays sont finalement assez proches » .
Selon cette étude qui, à la différence de la première, n’inclut pas les apprentis, d’où des chiffres légèrement différents, une heure de travail dans l’ensemble des secteurs marchands coûte 32,19 € en France, contre 29,36 € en Allemagne, pays avec lequel elle est souvent comparée. Dans le détail, les travailleurs français sont plus chers (32,08 € de l’heure) que les Allemands (26,81 €) dans les services marchands. Mais dans l’industrie manufacturière, la plus affectée par la compétition internationale, « la France et l’Allemagne sont au même niveau » , avec un coût horaire de 33,16 € pour la première, de 33,37 € pour la seconde.
De plus, réalité méconnue, il « existe des écarts parfois importants selon les sous-secteurs manufacturiers » , précise Laurence Rioux, chef de la division salaires à l’Insee. Et ces écarts sont troublants. Ainsi, dans l’industrie alimentaire, où nos résultats à l’export sont de moins en moins bons, la France est plus chère (25,70 €) que l’Allemagne (20,26 €), tandis que dans l’automobile, où nos performances sont réputées moindres, les salariés français coûtent moins cher (33,38 €) que les Allemands (43,14 €).
Ainsi, analyse l’étude, « pour tirer des conclusions en termes de compétitivité, il faut également tenir compte de la productivité horaire » , c’est-à-dire du coût salarial par unité produite. Ainsi, dans certains pays, comme la France et l’Allemagne, « la productivité a progressé plus vite que le coût horaire » entre 1996 et 2008 dans l’industrie manufacturière. Autrement dit, précise Laurence Rioux, « un pays à coût élevé peut être plus compétitif qu’un pays à coût plus bas si sa productivité est meilleure ».
Souvent comparés, les Français sont plus chers que les Allemands dans les services marchands, mais les deux pays sont au même niveau dans l’industrie manufacturière.
EXPLICATION LA CROIX – 17/0/2012 – p. 8
Diminuer le salaire pour sauver l’emploi, incertaine équation
NATHALIE BIRCHEM
‣ À la demande de Nicolas Sarkozy, la négociation sur les pactes de compétitivité emploi démarre aujourd’hui.
En quoi consiste la réforme ?
Il s’agit de permettre aux entreprises d’ajuster le temps de travail et le salaire à la conjoncture. Actuellement, la loi permet aux entreprises en difficulté de négocier avec ses syndicats un accord permettant ce type d’adaptation en contrepartie de garanties sur l’emploi. Mais, comme le salaire est un élément substantiel du contrat de travail, le salarié doit donner son accord pour que cet accord puisse s’appliquer. Faute de quoi, l’entreprise doit alors le licencier pour des raisons économiques, voire faire un plan social si plus de dix salariés sont dans ce cas. Ce qui explique que peu d’entreprises ont choisi cette voie.
Il s’agirait donc de changer la loi pour se passer du consentement individuel, comme c’est le cas en Allemagne. « C’est grâce à ce genre d’accords que l’emploi est resté stable en Allemagne malgré la crise », explique Gilbert Cette, professeur à l’université de Méditerranée, l’un des partisans de ces accords compétitivité-emploi. Alors que le chômage remonte en flèche, l’idée, défendue par l’UIMM, la branche métallurgique du Medef, a été reprise par Nicolas Sarkozy, qui a confirmé le 29 janvier qu’il allait lancer ce chantier. Comme, depuis la loi Larcher de 2007, les partenaires sociaux ont leur mot à dire sur ce type de réforme, une négociation débute aujourd’hui.
Sur quoi porte la négociation ?
Il s’agit d’encadrer par un accord interprofessionnel les conditions dans lesquelles ce type d’accord dérogatoire peut être conclu. Syndicats et patronat vont donc d’abord tenter de s’entendre sur les difficultés économiques justifiant ces dérogations. L’entreprise doit-elle être déjà dans le rouge ? Ou peut-elle invoquer la prévention de difficultés ? Il faudra aussi encadrer ce que l’employeur est en droit de demander à ses salariés. Peut-il supprimer des RTT ? geler des primes ? diminuer les salaires ? dans quelles proportions ? pour combien de temps ? Il s’agit surtout de voir comment l’employeur peut garantir l’emploi, les syndicats ayant tous en tête l’exemple de l’usine Continental de Clairoix, qui a fermé en 2010 malgré un accord « temps de travail contre emploi ».
Ce projet va-t-il aboutir ?
L’exécutif a déjà prévenu que, faute d’accord d’ici à deux mois, il présentera lui-même un projet de loi. Autant dire qu’il ne pourra le faire que si Nicolas Sarkozy est réélu. Car il y a peu de chances que les partenaires sociaux parviennent à un accord d’ici là. Si le patronat est, bien sûr, très partant, les syndicats, eux, ne cachent pas qu’ils négocient uniquement pour éviter que l’exécutif ne légifère seul. La CGT et FO sont hostiles à la démarche même. « Même un patron de bonne volonté ne peut pas garantir l’emploi ; donc, pour les salariés il n’y aucun gain à attendre », explique Stéphane Lardy, à FO. La CFDT, la CFTC et la CFE-CGC estiment, elles, qu’il y a matière à réflexion. « Mais, précise Patrick Pierron, de la CFDT, il n’est pas question de modifier la durée légale du travail et il faut que les garanties sur l’emploi soient réelles. C’est un débat qui ne peut aboutir en deux mois. »
« C’est un débat qui ne peut aboutir en deux mois », estime un syndicaliste de la CFDT.