LIBRES PROPOS
QU’EST DEVENUE LA CLASSE OUVRIÈRE ?
Les ouvriers sont six millions en France et pourtant ils semblent devenus presque invisibles. Parfois, lorsque que quelqu’un à qui on demande sa profession répond qu’il est ouvrier, certains auraient envie de dire : “Il ne doit pas en rester beaucoup” ! D’autres seraient presque vexés qu’on les appelle « ouvriers » ! Comme si travailleurs ou ouvriers c’était des gros mots.
6 millions d’ouvriers en France, c’est le quart de la population active, même si leur nombre a fortement baissé. On dirait que les ouvriers ont disparu aussi bien de l’imaginaire collectif que du vocabulaire patronal : « Les directions de ressources humaines » emploient maintenant des mots comme opérateur ou collaborateur, ou encore employé. Quant aux organisations syndicales de salariés, les employeurs, pour parler d’elles, ont adopté le terme de partenaires sociaux.
Derrière les mots, ou plutôt derrière l’absence de mots, il y a malgré tout des réalités sociales et culturelles. Même si le nombre d’ouvriers est encore important, c’est vrai que d’autres catégories, comme celle des employés, d’autres secteurs d’activité, comme les services, ont progressé de manière très importante, donnant peut-être parfois l’impression que les ouvriers n’avaient plus leur place dans l’économie. Dans l’imaginaire de la société française, les usines seraient vouées à la fermeture, presque comme si on était dans des pays du tiers-monde. Comme si la France pouvait vivre sans industrie. Ça veut dire que l’on assimile les ouvriers uniquement au monde des usines et de l’industrie, alors qu’ils sont bien plus nombreux à travailler ailleurs : des mécanos dans des garages, des maçons ou des électriciens dans de petites ou grandes entreprises, etc… Lorsque l’on parle d’ateliers, imagine-ton que le travail à la chaîne existe ailleurs que chez les constructeurs automobiles, dans la sidérurgie ou dans l’industrie ? Il faut voir par exemple les caissières d’hypermarchés et leurs gestes répétitifs à longueur de journée …
Bien sûr d’autres facteurs ont favorisé la désagrégation de ce sentiment de « masse ouvrière », capable de peser dans le combat revendicatif. Il y a eu l’implosion de secteurs symboliques : les mines, le textile, la sidérurgie la métallurgie… Il y a aussi la massification de la scolarité et l’arrivée de nombreux titulaires de bacs professionnels dans les ateliers et les entreprises. Ça a pu contribuer à dévaloriser ceux qui avaient appris à travailler par l’expérience, les ouvriers sur le tas par exemple .C’est sûr que cela a rendu plus difficile la transmission de la culture syndicale que l’on acquérait en même temps que les gestes d’un métier auprès d’un ouvrier qualifié ou non, mais qui savait son métier et se sentait un ouvrier.
Certes le travail a changé : ce fut d’abord l’irruption du tertiaire, puis maintenant la multiplication des services. Le laveur de carreaux d’une grande entreprise de nettoyage industriel n’a pas « les mains dans le cambouis », comme on disait dans le temps. Ses mains sont dans l’eau et il se les lave sans arrêts ! Ce n’est pas forcément le travail à la chaîne, mais c’est quand même la course au rendement. C’est comme la femme de ménage d’autrefois, maintenant les employeurs les appellent « techniciennes de surface » ! Mais qu’est-ce que ça change ?
La culture ouvrière est restée, disent certains analystes. Le rapport au travail demeure une valeur forte. Et la solidarité est toujours présente autour des organisations syndicales ou du monde associatif. Bien sûr, ce n’est plus l’ouvrier en bleu de travail et casquette… Mais il y a toujours des hommes d’entretien, par exemple. La condition ouvrière, même si elle a changé de visage, elle demeure toujours, et avec elle, des OUVRIERS !
Etre ouvrier cela implique aussi des valeurs de respect et de solidarité. De fierté aussi. Les anciens jocistes ont chanté « Sois fier, ouvrier ! »
QUE VA DEVENIR LA MISSION OUVRIÈRE ?
Il paraîtrait que les évêques sont moins effarouchés lorsqu’à la place du mot « ouvrier » on substitue le terme « populaire » Et des tenants de la Mission ouvrière entreraient dans leur jeu, dans leur mauvais jeu ?
Pour ceux qui ont encore quelques souvenirs de grammaire, il faut quand même préciser que le mot « populaire » n’est qu’un adjectif à accoler à un autre terme qui s’appelle substantif. On peut ainsi parler de quartiers populaires, comme on parle de fêtes populaires. Par contre le mot « ouvrier » est d’abord un substantif, même s’il peut aussi être un adjectif qui qualifie ou précise un autre terme. Mais ces considérations de la langue française ne sont pas l’essentiel !
Ce qui est grave, c’est de supprimer la référence ouvrière, parce que c’est elle qui est apostolique, dans le sens qu’elle concerne un peuple donné et bien précis.
S’il ne fallait plus employer le terme « ouvrier » alors dans ce cas :
Il n’y aurait plus « La Mission ouvrière », mais une mission …
Il n’y aurait plus de « Jeunesse ouvrière chrétienne », mais une jeunesse chrétienne …
Il n’y aurait plus d’ « Action catholique ouvrière », mais une action catholique…
Quant aux « Prêtres ouvriers », ils ne sont pas prêt d’abandonner ce qui authentifie et qualifie le ministère presbytéral qui est le leur. Car ce ministère, s’il est un envoi d’Eglise, il est aussi et encore maintenant l’attente d’un peuple.
Mais aujourd’hui, la majorité des évêques n’ont plus besoin de ce ministère : il aurait fait son temps ! Mais comment peuvent-ils le savoir puisqu’ils ne rencontrent pas plus des ouvriers que des personnes des « milieux populaires », comme ils disent ?
Philippe BARBIER
Prêtre ouvrier à Chalons en Champagne
11 Juin 2014
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