Témoignage Chrétien - 13 mars 2014
À LA RENCONTRE DE LA « SOUFFRANCE SILENCIEUSE »
Le porte-à-porte militant et ses leçons
Avec le printemps des élections revient le temps des porte-à-porte. Passage obligé pour les militants et candidats, dans bien des villes, on ne se contente plus de glisser un tract dans la boîte aux lettres mais on tire les sonnettes. Cette fois, à gauche, l'exercice paraissait périlleux compte tenu du contexte morose national. Surtout pour les militants socialistes.
Les débutants, un peu timides, appréhendaient ce premier contact avec les électeurs. Les vétérans affichaient un optimisme de circonstance. Mais, qu'il pleuve ou qu'il fasse une douceur printanière, les soirées se sont avérées moins astreignantes qu'on ne le redoutait.
Du côté des militants socialistes, c’est la surprise : « On est dans l'ensemble plutôt bien accueilli », dit Laurent à Lille, qui en est à sa quatrième campagne, cette fois en tant que candidat. « On donne notre programme et on se parle. Les gens aiment leur ville, ils s'intéressent à ce qu'on veut faire, mais surtout ils sont contents de pouvoir en parler avec quelqu'un. » « Le signe le plus évident, c'est qu'ils nous font entrer chez eux », indique Moussa, tête de liste socialiste près de Roubaix. De quoi parle-t-on lors de ces rencontres ? Des préoccupations immédiates et locales : du quartier, de l'emploi mais surtout du logement, de la vie chère. Et de la propreté du quartier ! Un thème qui devance de loin la sécurité.
Moins de 10% de mécontents
Bien sûr, les militants ne sont pas toujours accueillis à bras ouverts : « Le contexte n'est pas bon, commente Laurent. Mais on a moins de 10% de mécontents, guère plus qu'en 2008. » « On ne m'a jamais claqué la porte », confirme Étienne en région lyonnaise. Moussa précise : « Je m'attendais à ce qu'on nous envoie à la figure le "mariage pour tous", les trucs autour du "genre", pas du tout ! Sur 4 000 contacts, j'ai eu deux ou trois réflexions sur le gouvernement ou Hollande. »
Nicolas, candidat en Bourgogne, souligne le décalage immense entre « ce dont parlent les médias nationaux et les préoccupations des gens. J'aimerais qu'un journaliste nous accompagne pour entendre ce que les .gens disent, ce que sont leurs vraies préoccupations : les médias nous enfument avec leur brouillard. » Laurent, lui, a perçu une évolution depuis 2008, c'est l'effet d'internet : « Tu parles à des gens qui ne sortent plus, qui ne parlent à personne, mais ils sont sur les réseaux sociaux et ne communiquent que comme ça. »
Ces rencontres sont formatrices pour les candidats et les militants. Dominique, responsable EELV, s'attendait à ce qu'« ayant deux représentants au gouvernement, on nous fasse des reproches. Et bien, pas du tout ! Les gens sont contents de nous voir. On a formé les candidats en leur disant : si c'est hostile, n'insistez pas. Ils sont conquis par l'accueil qu'ils reçoivent, on ne peut plus les sortir, ils se sentent vraiment dans leur engagement en écoutant les gens ».
La « communauté de quartier »
Dany, candidat pour le parti de gauche, apprécie la camaraderie entre militants lors de ces soirées, il sort bouleversé de ces rencontres à domicile. « J'en retire encore plus de raisons d'être en colère contre une politique, contre un système », dit-il.
« Ce contact avec la réalité des situations vous change, reconnaît Moussa, éducateur et candidat. Après six semaines de campagne et de rencontres, on est transformé. On voit des gens qui manquent de tout, qui survivent on ne sait comment. Ce sont des personnes qui souffrent, pas des "assistés". C'est la souffrance silencieuse », dit-il. Monique, militante de 82 ans, est émue de voir dans sa ville une détresse qu'elle ne soupçonnait pas, y compris dans des quartiers qui ne sont pas réputés parmi les plus pauvres. Etienne en dit autant : « Une personne âgée m'a confié que j'étais le premier qui sonnait chez elle depuis des mois. Je suis frappé de cette solitude, de l'isolement de toutes ces personnes. » Des propos confirmés par un autre militant : « J'ai vu une personne vivant dans le noir parce qu'elle n'avait pas la force de changer une ampoule. Chez une autre, c'était l'évier qui était bouché depuis des semaines. Chez une personne âgée, c'est un jardin devenu une jungle parce qu'il n'a pas été bêché depuis des années. » Pour Moussa : « Un mandat local doit intégrer ce type de préoccupations du quotidien. Puisqu'il n'y a plus beaucoup de relations de voisinage, de parenté sur place, il faut réinventer la solidarité de proximité. »
Le porte-à-porte, les réunions d'appartement : ces pratiques révèlent durant la campagne cette attente à créer d'autres liens, en particulier au niveau du quartier. Pourquoi les réserver à ce temps électoral ? Ne faut-il pas envisager davantage qu'une solidarité de proximité mais réinventer une « communauté de quartier » qui permettrait à la fois de vivre un lien fraternel et de discuter des questions qui concernent la cité ? L'enjeu de ces municipales est peut-être là.
PASCAL PERCQ
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