Jean SALTAREL
Rue Flandres-Dunkerque
Résidence Guillalmet, F
82300 CAUSSADE
Caussade le 27 janvier 2013
Père Bernard GINOUX
Evêque de Montauban
Cher Père Evêque
J’ai préféré laisser s’atténuer tout le brouhaha médiatique autour du « mariage pour tous » pour répondre à votre courrier du 24 décembre dernier. J’ai pris également le temps d’en discuter avec les divers groupes que j’accompagne.
Je n’aurais jamais imaginé me trouver mêlé à un tel débat, tellement cette question me paraît marginale par rapport aux problèmes cruciaux auxquels sont confrontés nombre de salariés, et qui, je le constate chaque jour, remettent plus sûrement en cause les fondements de notre société et la capacité du « vivre ensemble ». En effet la politique du Medef qui précarise à outrance les salariés ; qui les sacrifie et les jette à la rue pour augmenter ses profits, qui les broie moralement pour les contraindre à démissionner… ont des conséquences bien plus catastrophiques et durables sur la vie des familles. On aimerait entendre l’Eglise de France dénoncer avec autant de force ces pratiques inhumaines et scandaleuses. Où sont donc passés les héritiers des Cardinaux Feltin, Liénard ou Gerlier !
Mais lorsque j’ai entendu les principaux responsables de notre Eglise prendre la tête d’une véritable croisade et se ranger au côté des forces réactionnaires de notre pays, j’ai ressenti une grande colère en me disant qu’il n’était pas possible de laisser croire que cette voix était l’unique voix des catholiques. C’est dans cet esprit que j’ai réagi en apprenant que notre diocèse mettait sa logistique au service d’une opération partisane, et j’ai constaté au vu des réponses qui me sont parvenues, que ce sentiment était largement partagé au sein des paroisses et des mouvements. J’ai toutefois évité toute expression publique dans les médias (malgré les sollicitations) pour éviter d’apparaître comme un « fer de lance » dans la lutte en faveur du « mariage pour tous », car je le répète, ce combat, même si je m’en sens solidaire, ne fait pas partie de mes choix prioritaires.
Ce qui me fait souffrir, c’est cette position d’une Eglise incapable « d’entrer en dialogue » avec le monde d’aujourd’hui tel qu’il est, et prisonnière de dogmes séculaires qui la paralysent. C’est le dynamisme du Concile qui m’a porté à devenir prêtre, et aujourd’hui, comme beaucoup de prêtres-ouvriers et de militants chrétiens (qu’ils soient ruraux, ouvriers ou des classes moyennes) je me sens de plus en plus étranger dans mon Eglise qui certes commémore les 50 ans de Vatican II, mais qui trop souvent semble lui tourner le dos… alors que le Synode lui aussi vient de reconnaître l’urgence de « s’asseoir aux cotés des hommes de notre temps » pour donner une chance à l’Evangile d’être Bonne Nouvelle pour eux.
Je souffre encore plus profondément du fossé que je vois se creuser entre l’Eglise et les personnes que je côtoie quotidiennement. Alors qu’avec beaucoup de mes compagnons de route nous avons en commun la même foi en l’homme, la pierre d’achoppement en est toujours l’Eglise et sa volonté d’imposer ses vues dans des domaines qu’elle se croit encore réservés… alors que le combat de Jésus est un humanisme mené à son terme. Beaucoup de mes camarades non croyants qui regardaient avec sympathie une Eglise venir à leur rencontre en tirent aujourd’hui la conclusion qu’il n’y a plus aucune « passerelle» possible entre « ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas ».
Cette souffrance c’est aussi celle de militants chrétiens, et certains vous l’ont exprimée, qui attendent que l’Evêque soit le garant de l’unité des chrétiens, au-delà de la diversité de leur choix personnels parfois opposés et même contradictoires. Ils veulent continuer malgré tout ce compagnonnage d’humanité au milieu des hommes, au nom de l’Evangile de Jésus, car ils gardent cette conviction profonde que « la vie des hommes est le seul lieu où Dieu se donne à voir et prend un visage », selon l’expression de Louis Escudié ─ qui a été l’un de nos maîtres à penser dans le diocèse. Et personnellement, je suis en admiration devant leur ténacité, leur fidélité et leur persévérance, contre vents et marées.
Voilà, Père Evêque, ce que je tenais à vous exprimer en toute franchise, en vous assurant de mes sentiments fraternels.
Jean Saltarel, prêtre-ouvrier.