RECENSION par Jean Rigal
Paul MAIRE, Le Monde, L’Eglise, et la Crise. Beaurepaire, 235 p. 17 €.
L’auteur est un homme de terrain. Paul Maire, prêtre du diocèse de Metz, a longtemps accompagné diverses équipes de chrétiens du monde ouvrier. Comme les prêtres de sa génération, il a été fortement marqué par le concile Vatican II. A ses nombreuses lectures, il ajoute une réelle compétence en sciences humaines et sociales. On est frappé par sa modestie : il reconnaît volontiers que son objectif est de mettre à la portée des gens simples les propos d’auteurs qui s’expriment dans un langage le plus souvent savant. C’est donc avec un grand souci pédagogique que l’auteur nous propose une sorte de vision panoramique de ce qu’on appelle « La Crise », celle du monde et celle de l’Eglise, car, dit-il, « tout bouge » et « tout se tient ».
Après un premier chapitre sur quelques grandes mutations du monde contemporain, et la naissance de la modernité, Paul Maire présente, dans le détail, huit mutations importantes de « l’individu hypermoderne ». « S’affranchissant de toute contrainte, celui-ci revendique sa totale liberté ». Cette forme d’individualisme induit de nouvelles formes de rapport aux autres. Ainsi, « la sexualité s’oriente davantage vers la recherche du plaisir et la communication amoureuse ». A juste titre, est relevé l’impact de « la religion d’Internet…Cette nouvelle religion s’apparente à une nébuleuse diffuse, éclatée. Ses principales caractéristiques sont l’idéal de transparence, le refus de la distinction entre privé et public, la libre circulation des messages, la démocratie sans Etat et l’apologie de l’esprit, libéré du corps ».
Contrairement à ce que pensent beaucoup d’adultes, P. Maire affirme que « nous n’assistons pas à la perte des valeurs mais à leur prolifération. Le véritable enjeu, c’est leur hiérarchisation. Tous se vaut ». On comprend, dans ce contexte, que « toutes les institutions perdent de leur emprise… et le poids de l’institution ecclésiale s’est affaibli à mesure que l’individu obtenait la reconnaissance de ses droits ».
Fort de son expérience d’accompagnateur d’équipes, l’auteur étudie le nouveau type de rapport entre l’Eglise et la société. « L’Eglise a besoin d’apprendre le langage de ce monde et de se décentrer pour l’écouter et entrer en dialogue avec lui ». Est-elle bien décidée à s’engager dans cette voie, au cœur « d’une société d’individus émancipés, urbanisés, mondialisés, connectés » ?
Les derniers chapitres de l’ouvrage font des propositions. « L’histoire nous montre que l’Eglise s’est souvent opposée à des cultures sur des éléments qu’elle a été amenée à reconnaître, par la suite, comme inhérents à son message ». Gardons-nous de baser nos critères d’évaluation sur le chiffre de pratiquants, ou de vouloir assurer, avant tout, la survie de l’Eglise. Et l’auteur de souligner, avec force, l’importance de l’Evangile, lu et surtout vécu. L’importance aussi, de ne plus maintenir « le quadrillage ». L’urgence est de promouvoir « des petites communautés de chrétiens » où l’on puisse retrouver un lieu et une vie en Eglise.
Ce livre est écrit dans un style limpide, parfois familier. Il bénéficie d’une abondante et parfois savoureuse documentation. Résolument tourné vers la modernité, plus que des recettes, il propose des attitudes fondées sur le message subversif de l’Evangile, des attitudes qui devraient s’inscrire au cœur des débats actuels sur « La nouvelle évangélisation ».